Peu auraient parié, à la même époque l’année dernière, sur une grande réforme de la haute fonction publique avant la fin du mandat. Bien sûr certains soulignent, a posteriori, les signes précurseurs les plus ténus en faisant mine de scruter le sismographe de la fonction publique, mais pour mieux faire ressortir la surprise du séisme qui devait emporter 75 ans de textes et de coutumes concernant les « hauts fonctionnaires ».

Pourtant, pour nous, à l’USAC-UNSA, il n’y a ici ni surprise, ni séisme.

Il n’y a pas de surprise, car de nombreux textes avaient déjà été modifiés (loi pour la transformation de la fonction publique de 2019, fin du « quota » dans les emplois de direction pour les administrateurs civils, prise en compte des années de services hors de l’administration pour l’accès aux promotions…). Il n’y a pas de surprise, car l’autorité politique avait très tôt exprimé ses doutes sur la légitimité de contrôleurs qui partageaient la même formation et le même concours que les contrôlés sans en avoir l’expérience, son besoin de pouvoir affecter les cadres supérieurs et dirigeants là où il y avait des besoins (dans les territoires, pour la relance…). La suppression des « grands corps » était annoncée par le Président de la République lui-même, publiquement, en juin 2019. La disparition de l’ENA n’en étant que le nécessaire corollaire à son sens, puisque cette école était l’instrument de leur reproduction. Frédéric Thiriez s’était vu confié une mission d’ampleur, un rapport avait été rendu…

Il n’y a pas de surprise car pour nous, à l’USAC-UNSA, le diagnostic était depuis longtemps posé. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour convaincre, ces dernières années, les gouvernements d’entreprendre une réforme profonde d’un système inefficace, délabré, injuste et dont les administrateurs civils étaient les premiers à souffrir. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour proposer des solutions d’architecture globale, moderne et repensée, au-delà du rafistolage statutaire minimal auquel l’on consentait parfois à nous associer du bout des lèvres avec force insistance sur un rapport de force qui nous invitait à la plus grande et surtout la plus humble discrétion.

L’USAC-UNSA n’a pas été surprise par une réforme dont elle soulignait l’urgence depuis des années.

Il n’y a pas non plus de séisme pour nous. Créer un corps unique, interministériel, d’administrateurs ? C’était le projet de l’ENA. Harmoniser les primes au sein l’État ? C’était notre demande, et par ailleurs une évidence car les primes doivent dépendre des fonctions et des résultats, et certainement pas de l’appartenance à un ministère plutôt qu’un autre. Exiger des mobilités ? C’est un enrichissement de carrière et une nécessité d’adaptation du service public. La création de la DIESE vient remettre enfin un peu d’interministériel pour contrebalancer les logiques de chapelles. Quant à la distinction du grade et de l’emploi, c’était la novation… de 1946 ! Il fallait surtout trouver un moyen de sécuriser les carrières et un couple corps/statut d’emploi mieux articulé le permettra. Pour les nouveaux administrateurs de l’État, il n’y a pas de séisme mais le retour à une démarche constructive d’un encadrement supérieur et dirigeant moderne.

Alors, comment comprendre les craintes et inquiétudes que cette réforme de la haute fonction publique suscite chez certains ? Et comment y répondre, en 2022 ?

Dans toute réforme, il y a une remise en cause, et une ambition.

Pour accepter la remise en cause, il faut partager un diagnostic, un constat de défaillance. Certains y sont plus prompts que d’autres, peut-être parce qu’ils ont été plus directement au contact des dysfonctionnements du système antérieur. D’autres ont été plus protégés des aléas de carrière, des impuissances de l’action publique, du cumul des absurdités de gestion, de l’écrasement progressif des rémunérations publiques. Tout aussi attachés que les premiers à l’intérêt général, ils ne manqueront pas de les rejoindre à mesure que le constat sera mieux partagé. Aucun ne défend vraiment une philosophie où les mérites seraient déterminés une fois pour toute en début de carrière, où certaines institutions seraient par essence supérieures à d’autres, où l’essentiel de l’encadrement serait assigné aux tâches subalternes, où les échecs ne seraient jamais sanctionnés, ni les mérites récompensés. Mais bien sûr, la remise en cause d’un cadre qui produisait ses effets pervers ne doit aucunement conduire à une remise en cause des agents qui, loyalement, se sont efforcés malgré tout de faire fonctionner au mieux l’administration publique. Les agents doivent pouvoir, individuellement, trouver un avantage dans le nouveau dispositif et, à défaut, ne pas perdre les garanties qui leur avaient été juridiquement données. L’ancien système définissait les gagnants par rapport aux perdants (le mieux classé, la bonne affectation, la sécurité de passage de grade, ceux qui disposent d’une base arrière, le « grand » corps par rapport au « gros » corps…), et inventait ainsi une division intrinsèque de l’encadrement supérieur. Sa réunification, pour casser définitivement avec cette logique délétère, implique qu’il n’y ait plus que des gagnants à l’entrée dans la réforme.

Reste l’ambition, et ce n’est pas la moindre des choses. Que l’État décide de mettre en place un système innovant de gestion de son encadrement supérieur, à la hauteur des défis du pays et formaté pour répondre à la réalité numérique de son encadrement supérieur et à la difficulté et la diversité de ses métiers ne peut que susciter l’adhésion. Mais il faut pour cela mettre en place des structures nouvelles, dotées de moyens importants et experts, établir un corpus de règles juridiques, définir une doctrine efficace et juste, restaurer un dialogue avec les représentants des cadres supérieurs, réformer les pratiques de nombreux employeurs publics en matière de recrutement et d’évaluation, où le préjugé paresseux épargnait l’analyse, revaloriser les rémunérations de l’encadrement supérieur qui se sont très largement érodées au fil du temps au point de perdre toute attractivité, déployer un système d’information complet, objectif et entretenu, régler les situations individuelles anormales qui se sont multipliées, contraindre des décideurs qui souvent traitent dans l’urgence, et pour lesquels on a facilité les « souplesses » pour ne pas dire qu’on les a invités à recruter « sur étagère », à incorporer des objectifs de moyen-terme… On ne passe pas en neuf mois d’un système concentré sur les vacances de poste au détriment des carrières, résultat d’une incurie coupable confortée par les conservatismes, à une gestion qualitative et une organisation fondée sur l’investissement dans le capital humain apte à comprendre et accompagner à la fois les carrières individuelles et les besoins collectifs. Clairement, c’est un défi.

Mais rien que d’être, en moins de un an, enfin face à ce défi est déjà une première victoire. Pour l’USAC-UNSA, nous serons engagés, à vos côtés, pour le relever. Ce n’est ni une surprise, ni un séisme, mais c’est quand même un morceau de monde qui bouge…

Je vous souhaite, au nom de l’USAC-UNSA, une année 2022 pleine de défis et d’audace, pleine de succès et de bonheurs, pleine de satisfactions personnelles et professionnelles, pleine d’engagements et de cohésion.

Jean-Pascal Lanuit