Lors de son intervention du 25 avril 2019, le Président de la République a annoncé la suppression des « grands corps ». Répondant aux questions des journalistes, il a précisé que cette suppression entrainerait celle de l’Ecole nationale d’administration (ENA) et qu’une mission était confiée à monsieur Fabrice Thiriez pour réfléchir au nouveau fonctionnement de la haute administration.
L’USAC UNSA Fonction Publique rappelle que le formation de tous les hauts fonctionnaires est indispensable pour préserver l’indépendance de la fonction publique et pour servir l’intérêt général.

Analyse et réflexion

Si le repro­che adressé à l’ENA de ne pas avoir pu « démo­cra­ti­ser » suf­fi­sam­ment l’accès à la haute fonc­tion publi­que est resté dans le dis­cours pré­si­den­tiel, il a été lar­ge­ment atté­nué.
Les efforts de l’ENA ont été mieux reconnus – elle affi­che en effet non seu­le­ment un fort volon­ta­risme en la matière mais également des résul­tats net­te­ment plus avan­ta­geux que d’autres écoles du ser­vice public et, a for­tiori, que d’autres gran­des écoles avec un recru­te­ment très sélec­tif – mais le Président estime néan­moins que l’accès à la haute fonc­tion publi­que pour les caté­go­ries popu­lai­res s’est res­treint durant les trente der­niè­res années.

Une réforme de l’école pour­rait alors sem­bler pos­si­ble. Emmanuel Macron l’écarte cepen­dant en cons­ta­tant que tous ses pré­dé­ces­seurs ont échoués dans leurs ten­ta­ti­ves res­pec­ti­ves. Il dresse en effet le cons­tat que l’exis­tence même des « grands corps » (Conseil d’Etat, Inspection des finan­ces, Cour des comp­tes), qui exi­gent que cette école les ali­mente en nou­vel­les recrues à tra­vers le dis­po­si­tif du clas­se­ment de sortie, empê­che toute évolution. Seule la sup­pres­sion des grands corps, caté­go­rie de hauts fonc­tion­nai­res dis­po­sants de pri­vi­lè­ges excep­tion­nels défi­nis par oppo­si­tion aux autres hauts fonc­tion­nai­res, pour­rait alors per­met­tre de refon­der la haute fonc­tion publi­que.

Dans une cer­taine mesure, ce cons­tat peut être par­tagé. L’ENA avait été envi­sa­gée, par le Conseil National de la Résistance, comme l’indis­pen­sa­ble outil de moder­ni­sa­tion de la France per­met­tant de dépas­ser les conflits de cha­pel­les et le népo­tisme res­pon­sa­bles de l’aveu­gle­ment d’avant-guerre. Un corps nou­veau de hauts fonc­tion­nai­res, inter­mi­nis­té­riel, était créé, et les recru­te­ments seraient assu­rés par concours et pour­suivi par une for­ma­tion. Mais l’ambi­tion d’un corps unique a dû être aban­don­née devant les résis­tan­ces des ancien­nes élites admi­nis­tra­ti­ves. Si le corps des admi­nis­tra­teurs civils a été mis en place, il n’était pas le seul corps de hauts fonc­tion­nai­res et ses mem­bres ne seraient choi­sis qu’après la four­ni­ture des « grands corps ». Le clas­se­ment de sortie de l’ENA était rendu indis­pen­sa­ble pour le main­tien des hié­rar­chies admi­nis­tra­ti­ves et de pres­tige entre les corps, assi­ses sur des avan­ta­ges réels de car­rière. Quelque soient les ten­ta­ti­ves, nom­breu­ses, pour ren­for­cer la plus-value péda­go­gi­que de cette école, elles se sont heur­tées à cette réa­lité : la fonc­tion pre­mière de l’école n’était pas de four­nir une for­ma­tion mais d’orga­ni­ser une com­pé­ti­tion dont les vain­queurs vien­draient confor­ter les hié­rar­chies admi­nis­tra­ti­ves mises en place avant-guerre.

Il ne s’agit pas de contes­ter la place éminente occu­pée, parmi nos ins­ti­tu­tions, par le Conseil d’Etat ou la Cour des comp­tes, les­quel­les doi­vent pou­voir réa­li­ser leurs mis­sions avec un per­son­nel indé­pen­dant et com­pé­tent. Ces ins­ti­tu­tions sont tou­jours aussi néces­sai­res en 2019 qu’elles l’étaient en 1945, sans doute plus même car l’Etat a encore gagné en com­plexité. En revan­che, le sys­tème de car­riè­res, orga­nisé par une hié­rar­chi­sa­tion arti­fi­cielle entre des corps d’enca­dre­ment supé­rieur en réser­vant à cer­tains seu­le­ment les car­riè­res les plus attrac­ti­ves, n’est pas com­pa­ti­ble avec les néces­si­tés d’un Etat moderne. Cette sur­vi­vance d’avant-guerre a limité l’apport moder­ni­sa­teur de l’ENA et lar­ge­ment trahi l’ambi­tion ini­tiale que la Nation pla­çait dans cette école. On peut regret­ter que la fin de cet archaïsme entraîne la sup­pres­sion d’une école dont la répu­ta­tion inter­na­tio­nale est envia­ble, fai­sant perdre à la France un de ses meilleurs atouts dans l’expor­ta­tion de son modèle admi­nis­tra­tif. Mais loin de ne concer­ner que quel­ques agents, le conser­va­tisme qui trans­pa­raît dans le sys­tème des « grands corps » est une phi­lo­so­phie dont les effets per­ni­cieux se sont étendus du sommet sur une grande partie de la fonc­tion publi­que d’Etat et qui n’est évidemment pas com­pa­ti­ble avec les orien­ta­tions moder­nes des res­sour­ces humai­nes (for­ma­tion tout au long de la vie, pro­mo­tion au mérite, diver­sité des car­riè­res…).

Le pré­si­dent a rap­pelé son atta­che­ment à un sys­tème « méri­to­cra­ti­que ». Il a aussi rap­pelé la néces­sité de la for­ma­tion et garanti que l’Etat sau­rait uti­li­ser les agents de l’ENA, les locaux, et le maté­riel dans le nou­veau projet.

Ces orien­ta­tions sont encore trop géné­ra­les pour per­met­tre de se posi­tion­ner. Le sys­tème méri­to­cra­ti­que du recru­te­ment doit, pour nous, non seu­le­ment garan­tir la meilleure com­pé­tence mais aussi l’indé­pen­dance des recru­te­ments de la haute fonc­tion publi­que à l’égard du pou­voir poli­ti­que, ou finan­cier, tout en per­met­tant la pro­mo­tion sociale et la diver­sité des ori­gi­nes. Le concours, et une haute fonc­tion publi­que de car­rière formée spé­ci­fi­que­ment appa­rais­sent comme les meilleu­res garan­ties, voire les seules.

La pers­pec­tive d’un corps unique pour le recru­te­ment des hauts fonc­tion­nai­res « admi­nis­tra­tifs », comme aurait dû l’être le corps des admi­nis­tra­teurs civils, per­met­trait alors de renouer avec l’ambi­tion qui était celle des fon­da­teurs de l’ENA et dont les intui­tions sont encore à l’avant-garde de la ges­tion publi­que au niveau inter­na­tio­nal.