Le système actuel, hiérarchisé autour des grands corps, “présente un risque de « rente de situation » au bénéfice de certains”, estime Jean-Pascal Lanuit, vice-président d’un des deux syndicats des administrateurs civils (l’Usac-Unsa) et membre du conseil d’administration de l’École nationale d’administration (ENA). Pour lui, la réforme en cours doit d’abord poser une logique d’harmonisation des carrières entre les hauts fonctionnaires, puis traiter ensuite la délicate question de l’entrée à la Cour des comptes et au Conseil d’État.

Que vous inspire la réforme de la haute fonction publique en cours de réflexion ?
Le pouvoir exécutif a présenté un projet de réforme des institutions, à un niveau constitutionnel. Mais il n’entend pas limiter ses réformes aux institutions politiques du pays. Il entend également prendre en compte les institutions administratives, parmi lesquelles la fonction publique et au sein de cette dernière, la haute fonction publique, qui joue un rôle de charnière dans la gouvernance publique. À ce stade, il faut moins prendre ces annonces à la lettre que comme la volonté affirmée de retrouver une administration proche des citoyens. Il y a, à la fois, une volonté de modernisation (prise en compte de la modernité), mais également des attentes sociales adressées à l’État.

Et que vous inspire la lettre de mission adressée par le Premier ministre à Frédéric Thiriez ?
On sent, dans la lettre de mission adressée à Frédéric Thiriez, cette volonté de se saisir de ce moment historique particulier. L’ambition est considérable, la réforme peut l’être également. Mais beaucoup de hauts fonctionnaires partagent également ce constat de la nécessité de repenser notre fonctionnement au service de l’intérêt général et de retrouver une marge de manœuvre pour affronter les nouveaux défis. Ils savent mieux que quiconque l’usure et l’archaïsme de certains de nos fonctionnements. L’envie est forte de satisfaire l’autorité politique démocratiquement élue et les attentes des citoyens, tout en préservant l’intérêt général. Il y a clairement une attente.

« L’ambition est considérable, la réforme peut l’être également »

Que signifie pour vous la fin des grands corps annoncée par Emmanuel Macron durant sa conférence de presse du 25 avril ?
La fin des grands corps n’est pas libellée comme telle dans la lettre de mission adressée à Frédéric Thiriez. Je pense que le Président est très conscient du fait que l’organisation actuelle de la haute fonction publique, avec ces grands corps qui coexistent avec d’autres corps supérieurs, aboutit à des effets pervers sur la formation et la carrière des hauts fonctionnaires. Je ne pense pas qu’il y ait la volonté de mettre fin à tel corps plutôt qu’à un autre, comme s’il était par nature un problème ou s’il faisait dysfonctionner l’administration. Ce sont les conséquences de l’existence de ces corps qui sont un problème. À mon sens, il s’agit de mettre fin au maintien, dans notre État moderne, de dispositifs qui datent d’avant la guerre, qui ont vieilli et s’inscrivent dans des logiques corporatistes d’un autre temps et, à la place, de mettre en place des outils plus en phase avec la modernité, prenant en compte la nécessité d’une gestion de carrière tout au long de la vie et à la recherche de l’excellence à chaque instant d’un parcours de haut fonctionnaire et non en se focalisant sur le moment du recrutement. Le système actuel présente un risque de “rente de situation” au bénéfice de certains. Nous sommes entrés dans un monde qui va très vite et ces situations historiques, exceptionnelles, voire exorbitantes font l’objet d’un constat sévère sur leur justification morale autant que sur leur efficience. Une carrière au service de l’intérêt général, qui va durer des années, ne doit plus dépendre d’un “mérite” ou d’une performance mesurée une seule fois en début de carrière. 

Vous avez côtoyé Emmanuel Macron au sein de la promotion Léopold Sédar Senghor de l’ENA, la seule promotion qui a fait annuler en justice le classement de sortie (sur le principe, sans effet rétroactif sur les affectations). Avait-il signé le recours ?
À ma connaissance, il l’avait signé. Il avait, en tous les cas, participé à la réflexion de tous les élèves, y compris de ceux qui n’avaient pas signé par peur de représailles. Chacun avait la liberté de signer ou pas, mais les conséquences individuelles pouvaient être différentes selon que l’on travaillerait ensuite comme magistrat administratif ou comme membre du corps préfectoral. À l’époque, nous nous sommes beaucoup interrogés sur les difficultés du système actuel. Après l’ENA, j’ai l’impression qu’Emmanuel Macron est toujours resté particulièrement attentif aux effets potentiellement pervers des situations acquises. Cela s’est notamment vu au travers de la réforme des notaires qu’il a menée à l’époque où il était ministre de l’Économie.

Frédéric Thiriez, dans sa première déclaration publique, a suggéré de créer un “miniconcours” pour le Conseil d’État et la Cour des comptes, en direction de jeunes hauts fonctionnaires sortis de l’école depuis quatre ans. Cette piste vous paraît-elle correspondre à la volonté présidentielle ?
Si j’interprète bien l’état d’esprit du Président, il faut commencer par des fonctions opérationnelles, avant de prendre des responsabilités de contrôle ou de jugement. Est-ce que ce sera quatre, sept ou dix ans après la sortie de l’école ? C’est un curseur à faire glisser avec des arguments dans un sens comme dans l’autre. Quatre ans me paraissent a priori un délai un peu court, surtout si l’entrée se fait par un concours. On risque d’encourager certains hauts fonctionnaires qui, dans leur première affectation, plutôt que de se préoccuper de la bonne gestion du bureau qui leur est confié et des politiques publiques qu’il porte, voudront se mettre à bachoter au bout de deux ans en se disant “il faut absolument que j’aille rejoindre les corps les plus prestigieux”.

Quel est le risque ?
Il ne faut pas que l’attractivité des corps “de débouché” vienne nuire au fonctionnement de l’administration. Il faut, pour moi, poser une logique d’harmonisation des carrières entre les hauts fonctionnaires d’abord, puis traiter la question de l’entrée à la Cour des comptes et au Conseil d’État pour que ces institutions puissent recruter, mais que cela ne vienne pas contrarier la logique générale.

« Il ne faut pas que l’attractivité des corps “de débouché” vienne nuire au fonctionnement de l’administration »

Pour traiter le problème de la “rente” dans sa globalité, ne faudrait-il pas inclure dans la réflexion le passage en cabinet ministériel et le coup d’accélérateur qu’il permet ?
C’est une réflexion à avoir. Je constate que dès sa prise de fonction en mai 2017, le Président a mis en place des règles tout à fait nouvelles et contraignantes pour les cabinets ministériels et qu’il a souhaité que les directeurs d’administration centrale exercent des responsabilités plus entières. Il y a donc bien une analyse au plus haut sommet de l’État du rôle, sur un plan institutionnel, des cabinets ministériels et de celui dévolu aux administrations centrales. Sur le plan de la carrière, les cabinets ministériels sont effectivement devenus des accélérateurs. Le passage en cabinet devient presque nécessaire, puisque les emplois de débouchés sont de moins en moins nombreux, et donc la compétition de plus en plus féroce pour y accéder. Ce ne devrait bien sûr pas être leur fonction : on doit aller en cabinet pour servir un ministre et non sa propre carrière. Mais je pense qu’on ne peut pas traiter cette question uniquement à partir des cabinets, il faut une réflexion plus large sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences tout au long de la carrière des hauts fonctionnaires, et cela semble être dans le champ de la mission Thiriez.

Qu’attendez-vous de la réforme lancée par Emmanuel Macron ?
Nous attendons un système plus juste en termes de diversification des origines, mais pas seulement. Il s’agit aussi de ne pas maintenir les déterminismes sociaux après le recrutement, pendant la formation et durant la carrière des hauts fonctionnaires, de mieux prendre en compte leur carrière et leurs mérites. Cela demande effectivement de s’éloigner d’un tropisme national où, par une certaine paresse, on juge les hommes et les femmes, sur un plan professionnel, à partir de leur diplôme initial, ou les hauts fonctionnaires par leur classement au concours… et où on s’interdit de réviser ce jugement pour l’ensemble de la carrière.  

« Aujourd’hui, le classement de l’ENA est moins un classement des élèves qu’un classement des corps de sortie »

Faut-il harmoniser les grilles salariales des corps situés en A +, ou du moins harmoniser les ratios indices-primes ? 
Au sein des grands corps, je distinguerai les corps de magistrats des corps d’inspection. Les magistrats ont une indépendance qui doit aussi se traduire dans leurs formes indemnitaires. On ne peut pas les assimiler aux autres hauts fonctionnaires sur ce plan. Pour les autres, une harmonisation est nécessaire. Il faut surtout éviter que des questions de rémunération et d’immédiateté d’avantages de carrière soient l’argument du choix de carrière. Aujourd’hui, le classement de l’ENA est moins un classement des élèves qu’un classement des corps de sortie, avec des corps plus favorables dans la botte et moins favorables ensuite. On note aussi des différences entre les ministères au niveau des régimes indemnitaires. Cela finit par fausser les mécanismes d’affectation aux carrières.

Quelle est la différence de rémunération (indice + primes) entre les administrateurs civils les mieux lotis et les moins bien lotis ?
En toute sortie ENA, on peut arriver à 20 % de différence. Bercy, par exemple, rémunère nettement mieux ses administrateurs que le ministère de la Culture. Cela occasionne des difficultés de mobilité. Un sous-directeur ne pourra pas changer de ministère car il s’apercevra que la rémunération perçue dans cet autre ministère sera inférieure à celle qu’il avait en tant que chef de bureau dans son ministère d’origine. Une harmonisation en début de carrière est tout à fait possible même si, par la suite, la rémunération doit pouvoir diverger en fonction des mérites. Derrière cette question de l’indemnitaire entre ministères ou corps de sortie ENA, on a des enjeux plus symboliques que budgétaires même si une harmonisation aurait un coût budgétaire.

Les agents affectés dans les corps d’inspection peuvent-ils entrer dans une logique indemnitaire comparable à celle des administrateurs civils ? 
Le travail effectué dans le cadre de fonctions d’inspection et de contrôle ne présente pas, pour moi, de si grandes différences avec le reste du travail effectué par la haute administration. Ce sont des fonctions que l’on peut exercer à un moment dans sa carrière. Les agents exerçant ces fonctions peuvent être traités comme les autres.

Sur quelles bases pourrait-on concevoir une évaluation de ces personnels de corps d’inspection pour qu’elle soit acceptable ?
Il n’y a pas de spécificité si grande par rapport aux autres missions dévolues à l’administration. On peut rencontrer une difficulté : la légitimité d’un contrôle qui serait réalisé par des agents qui n’auraient pas suffisamment d’expérience pour pouvoir discuter avec les autres hauts fonctionnaires rencontrés dans le cadre du contrôle. C’est d’ailleurs une des critiques adressées à certains grands corps. Pour certains contrôles, on a besoin d’avoir une équipe plus “senior”, notamment pour les contrôles sensibles, comme ceux portant sur les ressources humaines. On a, dans ce cas, besoin d’avoir plus d’expérience.

Les corps d’inspection doivent-ils recruter différemment ?
Il faut distinguer les services d’inspection et les corps d’inspection. Les corps constituent une des modalités de recrutement au sein de ces services. Mais il n’existe pas de corps partout. L’inspection générale de la Justice, créée en 2017, ne repose pas sur un corps et on y entre exclusivement en détachement. D’un point de vue technique, on peut faire tourner un service d’inspection uniquement par un recrutement en détachement. On peut souhaiter vouloir maintenir, dans ces services, des gens jeunes, nouvellement arrivés dans la catégorie des hauts fonctionnaires. C’est un gage de modernité dans les contrôles qui permet de s’assurer qu’ils soient bien en phase avec les développements de la société. Mais cela n’exige en rien qu’ils “intègrent” jeunes un corps de “débouché”.

Depuis des décennies, le débat sur la réforme des grands corps s’est focalisé sur leur rapport à une jeunesse tantôt fétichisée pour son apport essentiel à la disruption, tantôt critiquée pour sa propension au péremptoire. Peut-on sortir de ce schéma de pensée binaire “jeune-vieux” ?
On peut en sortir en considérant qu’il existe une collégialité. Ce serait dommage d’avoir des services d’inspection qui ne servent que de débouchés de carrière et qui seraient éloignés des évolutions de la société. Le Conseil d’État a le même souci. Les percées jurisprudentielles les plus novatrices du Conseil d’État ont souvent été réalisées par de jeunes conseillers ou de jeunes maîtres des requêtes. C’est un des avantages du dispositif actuel : avoir des gens jeunes, plus en phase avec la réalité des administrations. Mais le maintien de personnes jeunes n’implique pas de les placer définitivement dans un corps qui leur donne un avantage de situation tout au long de leur carrière. On pourrait tout à fait mettre en place un recrutement par détachement de chargés d’études ou de mission. Bien plus tard, pourrait survenir l’inscription dans un corps pour les dernières années de carrière, cette intégration permettant d’assurer une certaine indépendance, notamment pour traiter des sujets sensibles.

« Il manque, au sein de l’appareil d’État, une inspection interministérielle chargée des ressources humaines »

Aujourd’hui, hormis les trois inspections interministérielles (IGA, IGF et Igas), l’essentiel des corps d’inspection sont des corps de débouchés qui recrutent plus tard dans la carrière. Est-ce un bon modèle ?
C’est plutôt un bon modèle, mais qui comporte un risque : celui de ne pas avoir assez d’innovation. Si on réfléchit aux corps d’inspection, il faut prendre en compte un autre point : il manque, au sein de l’appareil d’État, une inspection interministérielle chargée des ressources humaines. On doit pouvoir s’assurer que la qualité du travail réalisé dans les administrations repose sur des organigrammes cohérents ou des pratiques professionnelles respectueuses du droit du travail et de la fonction publique. On est aujourd’hui dans un système extrêmement primitif sur le plan RH. L’administration ne s’interroge pas assez sur elle-même et sur ses propres pratiques.

Les modalités d’accès aux postes de direction (sous-directeurs, chefs de service) doivent-elles changer ?
Il y a une volonté politique de diversification. Il est pour moi préférable de faire tenir ces postes par des fonctionnaires de carrière. Il existe un certain danger à recourir trop facilement aux contractuels. Cette voie pose la question du contournement du concours, qui est la base de la fonction publique française. Si l’on crée une voie d’accès plus rapide et facile à ces postes, alors elle deviendra une voie prioritaire. Ce point rejoint le début de notre discussion sur l’accélération de carrière permise par le passage en cabinet ministériel. Il y a toujours la recherche d’accélérateurs de carrière. Ce peut être extrêmement dangereux pour la probité. Et il n’est pas sain de créer des voies d’accès qui pourraient cannibaliser très rapidement tout un dispositif. La mission Thiriez veillera peut-être à préciser ces éléments-là. Il ne faut pas que le système devienne ingérable par perte de cohérence.

À quelles conditions pourrait-on revenir à l’idée originelle de 1945, à savoir la création d’un corps des administrateurs civils pleinement interministériel ?
Il faudrait un corps commun de hauts fonctionnaires réellement harmonisé, avec des débouchés de carrière. Le corps des administrateurs civils n’a jamais eu son troisième grade statutaire, ce qui provoque des carrières stoppées en cours de route. Il doit avoir un régime indemnitaire suffisamment attractif pour éviter que les talents ne se détournent de la fonction publique et aillent voir ailleurs. Il faut aussi pouvoir proposer une formation tout au long de la vie que l’on a, aujourd’hui, énormément de mal à mettre en place. L’idée, par exemple, que les cadres supérieurs se forment aux nouvelles technologies n’est pas encore vraiment intuitive.

« Si l’État veut investir dans une haute fonction publique de carrière, alors il doit la définir »

Faut-il créer une catégorie A + pour permettre ensuite des harmonisations ?
Si l’État veut investir dans une haute fonction publique de carrière, alors il doit la définir. On voit que cette définition est compliquée : elle ne fera peut-être pas plaisir à tous les corps de fonctionnaires. Aujourd’hui, il existe une confusion : nous sommes entre 53 et 56 % de la fonction publique de l’État classée en catégorie A. Ce n’est pas sain : la réalité des responsabilités exige une distinction, avec des règles de fonctionnement différentes, même si on retrouve un statut commun. L’exposition au politique, par exemple, n’est pas du tout la même pour un sous-directeur ou un chef de bureau que pour les autres fonctionnaires de l’administration.

À quelles conditions votre syndicat serait-il prêt à soutenir l’abandon de la règle selon laquelle 50 % des emplois fonctionnels (sous-directeurs, chefs de service, etc.) sont réservés à des administrateurs civils ?
Nous n’avons pas de conditions à poser, mais si on va vers un système juste qui permet à chacun, selon ses mérites, d’avoir un déroulé de carrière convenable avec une compétition loyale pour l’accès aux postes de responsabilités, cela nous ira très bien. Aujourd’hui, cette compétition loyale n’existe pas pour les administrateurs civils, car notre corps présente des fragilités, des vulnérabilités que n’ont pas les autres corps. On a considéré que les administrateurs civils étaient une sorte de produit jetable, avec un début de carrière statutaire puis, au fil de la progression, chaque fois que l’on quitte un emploi fonctionnel, on recommence à zéro. Cette deuxième partie de carrière fait de nous des quasi- contractuels, même si nous sommes sous statut, alors que nous entrons en compétition avec des fonctionnaires d’autres corps qui ont, eux, des garanties très fortes et des outils de gestion, voire d’influence puissants. C’est peut-être là que se situe aujourd’hui la distinction entre les grands corps et le reste de la haute fonction publique.

Qu’est-ce qui doit changer demain dans le modèle de l’ENA ?
La principale malédiction de l’ENA a été le classement de sortie, qui n’est pas du tout de son fait. Le classement résulte de la présence de plusieurs corps à sa sortie, qui ont été hiérarchisés les uns par rapport aux autres selon des logiques qui étaient celles de l’avant-guerre. L’existence de ces corps et du classement a privé cette école de sa capacité à proposer beaucoup plus qu’une préparation au concours final du classement.

Un énarque a consommé 80 à 90 % de son crédit formation à la sortie des vingt-quatre mois de scolarité initiale pour une formation généraliste commune à plusieurs métiers. Ce modèle a-t-il de l’avenir alors que la durée de cotisation pour la retraite ne cesse d’augmenter ?
Tout dépend de savoir si on est sur une enveloppe constante pour la formation. Diminuer la formation initiale constituerait une erreur. En revanche, ne pas voir qu’on a besoin d’investir de la formation plusieurs fois dans la carrière serait aussi une erreur. Il n’existe aujourd’hui pas de formation très tardive, même s’il y a des dispositifs de type IHEDN 

[Institut des hautes études de défense nationale, ndlr]. Cela reste un système globalement archaïque. Il faudrait des moments d’évaluation et de formation, peut-être dix ans après le début de carrière.  

Que pensez-vous du périmètre de la mission Thiriez ?
On comprend, à la lecture de la lettre de mission, que la mission doit justement définir son périmètre, qui pourra donc être large. Les 3 fonctions publiques ne sont pas totalement interchangeables. Diriger une collectivité ou diriger une administration centrale relèvent de responsabilités différentes. Nous avons une préférence pour des passerelles mieux organisées.

Quel est le premier frein, aujourd’hui, à ces mobilités interfonctions publiques ? 
Ce ne sont pas les mêmes filières de reconnaissance professionnelle. On n’est pas nécessairement connu dans l’autre fonction publique, car il existe un déficit global d’identification. Il existe aussi des difficultés, par exemple, en matière de retraite ou liées à des questions de déontologie. Certains corps de fonctionnaires de l’État ne peuvent pas travailler dans la territoriale pour des raisons déontologiques, par exemple les magistrats des tribunaux administratifs ou des chambres régionales des comptes.

Quels sont les freins qui contreviennent au recrutement, au sein de l’État, des territoriaux ou des hospitaliers ?
Je vois moins de freins, si ce n’est que l’État, depuis plus longtemps que les collectivités, est entré dans un processus de réduction de ses effectifs. L’État a, peut-être, du même coup plus de cadres “en surnombre” et n’est pas très demandeur d’un surcroît de candidatures issues de l’extérieur. Les postes ne sont pas si nombreux à être ouverts.

« Il existe un phénomène de cadres en surnombre au sein de l’État »

Il existe donc pour vous un phénomène de cadres en surnombre au sein de l’État ?
Oui, on a des difficultés de régulation. Cela fait peut-être vingt ans qu’on a énormément affiné les organigrammes et réduit les postes de direction et les débouchés. On a donc des cadres seniors qui ne retrouvent pas forcément des fonctions à la hauteur de leurs qualités. On aurait besoin de basculer une partie de ces hauts fonctionnaires-là sur des missions d’évaluation et de contrôle qui font parfois défaut.

C’est-à-dire qu’il faudrait leur créer des postes…
Il faudrait reconnaître leur capacité professionnelle, qui pourrait s’exprimer dans la création de nouveaux outils au service de l’administration et du gouvernement, comme une inspection générale des ressources humaines ou des organismes d’évaluation au service du Parlement. Compte tenu de la complexité du monde contemporain, on a tout intérêt à avoir du personnel tourné vers de la prospective. Pour autant, je ne pense pas que ce surnombre soit nettement au-dessus du chômage frictionnel qui affecte les cadres supérieurs du privé. Néanmoins, il faut réduire ce mal-emploi des compétences des agents.

Propos recueillis par Pierre Laberrondo